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Interview de Robert Durieux, ouvreur sur le site d'Ablon (Haute-Savoie)
- Bonjour,
pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Bonjour,
Tout dabord, je te remercie de me permettre de mexprimer notamment pour
le site dAblon que jaffectionne tout particulièrement.
Jai 49 ans, 25 ans de grimpe et 18 ans déquipement.
Jai commencé à grimper en montagne, puis je me suis rapidement intéressé
à la falaise.
Jhabite à Annecy où je gère une auto-école, je moccupe
parallèlement de léquipement des sites au sein du CAF Annecy.
- Comment as-tu découvert le site d'Ablon et qu'est ce qui t'a motivé pour
équiper cette
falaise ?
Un ami randonneur qui voyait la falaise de loin ma conseillé
daller y jeter un il.
A lépoque, je grimpais un peu avec Daniel Chauchefoin (skieur extrême bien
connu) qui mavait initié à léquipement au Biclop, falaise du bassin
annecien.
Ablon était pour moi une aubaine, et allait me permettre de mexprimer en
créant mes propres voies.
Une fois au pied du site, jai à la fois halluciné par lampleur et le
potentiel de cette falaise, et douté de son intérêt pour les grimpeurs : 1h de marche,
calcaire si différent des autres sites de la région.
Mais, après 3 ou 4 lignes, jai trouvé le site exceptionnel pour son rocher
et surtout pour son cadre.
Je découvrais toujours des lignes aussi superbes les unes que les autres, et
cétait pour moi une aventure dexplorer cette falaise, dautant plus, que
mes amis grimpeurs commençaient à sy intéresser et à y grimper régulièrement.
De plus, une amitié très forte avec lalpagiste de lépoque na
que renforcé ma motivation.
Cétait super !
- As-tu rencontré
des difficultés pour obtenir les autorisations ?
La commune savait que lon commençait à grimper su le site
dAblon et ny voyait apparemment pas dinconvénient, surtout quelle
avait bien compris lintérêt économique que cela pouvait engendrer.
Toutefois, pour ne pas piéger les élus dans leurs responsabilités, jai
rapidement demandé une convention descalade entre la commune et le CAF
dAnnecy. R. BOSSON, à lépoque Président du Comité Départemental 74 FFM,
ma beaucoup aidé en me faisant confiance. Je suis dailleurs en bon terme avec
la commune qui mépaule en cas de problème.
- Le financement
de léquipement a-t-il été difficile à trouver ? Quel sont les retours de
la vente dun topo pour un ouvreur ?
Comme je te le disais, je moccupe de léquipement au
sein du CAF dAnnecy et à ce titre je gère un budget chaque année pour
lachat de matériels.
Cela prend beaucoup de temps entre les déplacements, les commandes, la réception
du matériel, le stockage et la répartition entre les différents équipeurs concernés
du club.
En contrepartie, cela me permet davoir du matos qui me convienne.
Faire un topo nest pas une chose simple.
Tu prends des risques, notamment financiers.
La conception demande beaucoup de temps. Il y a les déplacements sur le terrain,
les renseignements des autres équipeurs, la mise en forme sur ordinateur. Il faut trouver
des sponsors pour réduire le coût de louvrage. Il y a également
limpression, passage obligatoire dans la chaîne de réalisation. Pour cela il faut
trouver un éditeur ou lauto- financer. Ensuite il faut commercialiser
louvrage.
Tout ça cest beaucoup de temps. Quant aux retours financiers sur ce travail
ils sont différents suivant que léditeur sera un privé, un club, une association
ou léquipeur. Mais dans tous les cas de figure, je ne suis pas sûr que la chose
soit rentable.
Cest plutôt une affaire de passionné, et cest sans doute
laboutissement de la chaîne depuis la découverte du site jusquà la
matérialisation sur du papier.
- Ouvrir une voie
pour toi, cest quoi ? Est-ce la gestuelle, laspect créatif, laspect
sportif, la recherche d'une belle ligne homogène qui tintéresse ?
Ouvrir une voie, mais plutôt en ce qui me concerne équiper une
voie (puisque différence il y a), cest sans aucun doute tous ces aspects, aussi
différents soient-ils, qui mintéressent mais avec toutefois, en priorité,
laspect découverte de nouvelles lignes, homogènes ou non, dans un bel
environnement.
- Le travail
douvreur nécessitant un gros investissement temps, comment torganises-tu
entre grimper et ouvrir des voies ?
Le travail déquipement nécessite beaucoup de temps et
dénergie et laisse malheureusement peu de temps et peu de force pour grimper.
Jéquipe plutôt lété et je visite dautres sites au printemps
et à lautomne en privilégiant le "à vue". Quand le temps le permet, je
grimpe en hiver dans les sites locaux.
- Généralement
ouvrir une ligne te demande combien de temps ? Comment procèdes-tu
entre le nettoyage et léquipement proprement dit ?
Quand lespace disponible est important, ce nest pas
léquipement proprement dit qui prend du temps, cest plutôt la réflexion
précédant la création, savoir où va passer la voie à droite, à gauche, quelle sera
sa longueur, la position du relais et des points dassurage pour la sécurité des
grimpeurs (exposition, tirage, etc.
. )))) Il faut réaliser les pas de blocs.
Plein de dilemmes quil serait très long dénumérer mais qui reste
très intéressant, contrairement à léquipement proprement dit où il faut
néanmoins sappliquer un maximum pour la fiabilité des ancrages.
- Lorsque tu
équipes, a priori du haut, travailles-tu seul ou en équipe ?
Je suis pratiquement toujours seul pour léquipement. Je ne
suis pas contre lavis dautres personnes, mais je me concentre beaucoup plus en
étant seul.
Par contre, pour le rééquipement, jai quelques fois de laide.
- Que penses-tu de
la taille des prises, et as-tu déjà eu recours à cette pratique ?
La taille des prises : vaste sujet !
Je pense que cette démarche tire le niveau des grimpeurs vers le bas.
Cest souvent pour combler leurs insuffisances techniques et physiques que les
équipeurs ont recours à cette pratique recherchant à adapter le rocher à leur niveau.
Ne faut-il pas rechercher linverse !
Et puis, écologiquement parlant, le rocher est amputé par ces prises taillées ou
rapportées. Jespère que les équipeurs prendront conscience de linutilité
de cette démarche.
Jai eu un peu recours à cette pratique à mes débuts déquipeurs et
je le regrette. Il y a maintenant 15 ans que je ne taille plus.
Jai eu la chance dêtre inspiré par mon ami Patrick BERHAULT, grimpeur
et alpiniste bien connu, qui ma fait aimer les voies comportant des pas de blocs. Ce
sont la plupart du temps dans ces voies que lon trouve des prises taillées sous
prétexte de les rendre homogènes.
En vieillissant, jessaye de respecter le plus possible le rocher. Peut-être
pas suffisamment, sinon je néquiperai plus !
- Depuis combien
de temps ouvres-tu à Ablon et as-tu également équipé dautre sites ?
Cela fait 20 ans que jéquipe à Ablon.
Jai également équipé dans quelques falaises autour dAnnecy (la
falaise du Biclop, le Chapeau de Napoléon, les Contrebandiers
), et dans le Massif
des Bauges.
- Ouvrir est une
chose, entretenir une autre. Consacres-tu du temps à lentretien et au
rééquipement
. Comment gères-tu cela ?
Chaque année, je fais un état des lieux des voies. Avec un ami,
nous avons déjà rééquipé une grosse partie du secteur principal, travail laborieux,
et moins intéressant que la création de nouvelles longueurs, mais néanmoins
indispensable.
- Penses-tu que le
site dAblon est encore extensible ou penses-tu au contraire quil faut
préserver une partie de la falaise vierge de toute voie descalade ?
Léquipement de voie nouvelle dans le secteur principal
nest plus envisageable, sauf cas isolé.
Javais pris linitiative de respecter un minimum de 3 mètres entre
chaque longueur pour ne pas saturer le site.
En accord avec les différents partenaires du site (CAF, gérant du site et la
commune, propriétaire du site), nous avons décidé de le signaler dans la convention.
Par contre, de très belles voies restent à créer, plus loin dans le vallon, sur
lesquelles je travaille depuis 2 ans.
- Tu as ouvert
énormément de voies, ne rencontres-tu pas un phénomène de lassitude,
ou au contraire, lenvie de proposer de nouveaux itinéraires te motive
toujours
autant ?
Les voies nouvelles sur lesquelles je travaille actuellement, dans
le fond du vallon, sont complètement différentes du style dAblon (picots,
),
elles ressemblent plus à du rocher du sud (à trous).
De ce fait, la motivation est toujours aussi forte, mais pas forcément pour
proposer de nouveaux itinéraires. Plus égoïstement, cest le plaisir de découvrir
dans un lieu aussi paisible que ce vallon.
- As-tu des
retours sur ton travail douvreur ?
Pas de retour financier. Des retours de grimpeurs satisfaits OK et
surtout beaucoup de rencontres avec différents grimpeurs de tous horizons, et de tous
niveaux.
- Comment
procèdes-tu pour donner une cotation et est-ce difficile de coter une voie ?
Jessaie de coter par rapport aux autres voies du site
notamment les plus fréquentées et reconnues par les pratiquants comme assez précises.
A mon avis, il est préférable de coter une voie après travail, pour éviter les
erreurs de lecture.
Vu la fréquentation du site, les nouvelles longueurs sont souvent prises
dassauts et les cotations saffinent rapidement.
- Le résultat de
tout ce travail se traduit par la réalisation du topo, comment as-tu
procédé, vu lampleur de la tâche ?
Je connais toutes les voies du site, ce qui fait que le recensement
est assez facile. Très peu dinformations à prendre auprès dautres
équipeurs.
Par contre, pour la réalisation du topo le travail est important, à la fois sur
le terrain et sur le papier (précision des lignes).
Ce serait trop long dexpliquer toute la procédure pour la réalisation du
topo. En tout cas, on apprend beaucoup de la conception dun topo.
- As-tu rencontré
des difficultés pour boucler cette seconde édition du topo dAblon ?
Je nai pas rencontré de difficultés particulières pour
boucler cette édition.
Quand tu es à compte dauteur, la difficulté dans ce genre daventure
cest que tu dois maîtriser toutes les facettes de louvrage, de la conception
à la commercialisation, en passant par lédition.
- Depuis quelques
temps, on trouve sur Internet des topos falaise "pirates", quel est ton
sentiment sur cette question ?
Internet est un sacré support de communication, mais il est bien
dommage que certaines personnes profitent de ce support pour copier le travail et la
créativité dautrui. En dehors des questions dégalité ou dinégalité
que lon peut se poser, il y a un manque de respect évident. La moindre des choses
serait de demander lautorisation aux auteurs. De toute façon ce ne sont que des
copies et comme toutes copies elles nont pas la précision de linformation que
lon trouve dans loriginal. Qui, mieux que les équipeurs peuvent renseigner
les grimpeurs sur leurs falaises.
Sur ces compilations de topos, je ne suis pas sur que le grimpeur qui est
également un consommateur soit gagnant.
Noublions pas que lescalade en falaise nest possible que grâce
à tous ces équipeurs motivés et passionnés. Si tous ces topos sont édités sans
concertation avec leurs auteurs, ceux-ci vont finir par se dégoûter et ne
sinvestiront plus pour équiper et cest les grimpeurs qui en pâtiront.
- Un mot à
rajouter ?
Bonne grimpe à tous.
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