Les compétitions d'escalade de difficulté sont nées il y a tout juste 20 ans à
Bardonecchia, non loin de la frontière italo-française.A l'époque, cela a provoqué un cataclysme dans un microcosme
cultivant sa singularité et très hostile à l'idée de pratiquer à terme un sport comme
les autres. Cependant, malgré un appel au boycott des grimpeurs les plus médiatisés,
connu sous le nom du "Manifeste des 19", les meilleurs mondiaux d'alors, et
même des signataires du Manifeste, se rendent sur place pour s'affronter. Et c'est Stefan
Glowacz qui s'impose. Patrick Edlinger, le père de la médiatisation de l'escalade, devra
attendre l'année suivante à Arco, devant un plateau très fourni, pour prendre sa
revanche.
Au début les règles sont floues. On hésite entre prendre
en compte le temps passé sur la voie, le style, la plus haute prise atteinte ou la
combinaison des trois. Cela donne lieu à des contestations sans fin.
La compétition qui a lieu peu de temps après à Biot en
Haute Savoie provoque de telles dégradations (taille de prises, arbres coupés pour
installer les spectateurs, déchets de ces mêmes spectateurs,...) et de telles tricheries
(observation et essais des voies avant la compétition par certains) que des voix
s'élèvent pour que ces épreuves ne se déroulent qu'en intérieur.
C'est donc dans les gymnases que vont désormais s'enfermer
les compétitions à l'exception notable des masters de Serre Chevalier et d'Arco qui
resteront en extérieur malgré certaines éditions pluvieuses.
Si les Masters internationaux voient le jour en Italie, en
France, puis en Espagne, aux Etats-Unis, en Angleterre, reste à constituer un règlement
international, un système de sélection fiable pour les meilleurs athlètes nationaux, et
des circuits nationaux.
Devant l'ampleur de la tâche pour structurer ce sport comme
n'importe quel autre sport, les esprits s'échauffent à la fédération française de la
montagne (FFM). Certains claquent la porte et constitue la fédération française de
l'escalade (FFE) qui retournera dans le giron de sa fédération mère pour constituer la
fédération française de la montagne et de l'escalade (FFME) et ce à la demande très
insistante du ministère de la jeunesse et des sports.
Au niveau international, l'Union internationale des
associations d'alpinistes (UIAA) se montre incapable de fédérer les nouvelles structures
nationales et d'éditer le moindre règlement.
Il faut dire que les opposants à la compétition sont
nombreux. Pour les cafistes tenant d'un alpiniste de conquête, majoritaires au sein de la
FFM, s'affronter sur des murs d'escalade n'a aucun sens. Pour les grimpeurs, transformer
une activité de liberté en une pratique sportive ayant pour finalité de délivrer des
médailles et des titres en dénature l'esprit.
C'est donc dans cet environnement particulièrement hostile
qu'une poignée de représentants de clubs et de fonctionnaires mis à disposition par
l'Etat vont structurer l'escalade comme le sont les autres sports.
Au fur et à mesure que des murs voient le jour dans toutes
les régions de France, s'organisent des championnats départementaux, régionaux,
inter-régionaux. Peu à peu, on rentre dans un système visant à créer un circuit
crédible qualifiant pour le championnat de France. Le championnat de France devenant
alors le lieu de détection et de sélection des meilleurs grimpeurs nationaux pour le
circuit international.
La crédibilité d'un sport passe par l'existence d'un vrai
circuit international et non par des masters épisodiques. Pour cela, l'effort de
structuration doit dépasser les frontières. Il existe en Italie, en Espagne, en
Allemagne et en Belgique des circuits nationaux crédibles. Mais tous les continents et
tous les pays sont loin d'être présents ou représentés.
L'escalade est un sport qui concerne quasi exclusivement
l'Europe de l'Ouest. Cela se voit, cela se remarque même si quelques individuels
brillants représentant le Japon ou les USA. Les grimpeurs qui font rêver en solo sur les
plus belles parois du monde ne provoquent plus la même émotion quand ils s'enferment
dans des gymnases. Les médias qui ont aimé Patrick Edlinger, Isabelle Patissier et
Catherine Destivelle quittent le navire. Les sponsors aussi. Les portes de l'olympisme se
ferment. L'escalade est condamnée durablement à rester un sport marginal.
Côté vedettes, les têtes changent rapidement. Le niveau
évolue. Vite, très vite. Le 6c/7a des premières finales femmes devient 7b, 7c puis 8a.
Les hommes enchaînent même du 8b. Patrick Edlinger cède le devant de la scène à ses
rivaux du début puis à un petit jeune talentueux qui dominera l'activité près de 10
ans : François Legrand. Cet homme a tout gagné, tout dominé, tout inventé pour
l'entraînement. Mais il n'est pas jugé assez « médiatique » même si son parcours est
atypique et exceptionnel. Depuis personne ne semble prendre durablement la relève.
Chez les femmes, les Liv Sansoz, Katia Brown, Angela Eiter,
Sandrine Levet et Muriel Sarkany n'ont jamais réussi à faire oublier Isabelle Patissier
et Catherine Destivelle. Pourtant leur niveau est incomparablement plus élevé.
Le règlement change aussi. Il est rédigé peu à peu à
l'initiative des Français. Un travail remarquable est accompli. La fédération forme des
arbitres régionaux, nationaux, internationaux. Des juges de voie et des ouvreurs aussi.
Le règlement sportif se conforme au droit public français, au règlement international
de lutte contre le dopage.
Le dopage touche-t-il l'escalade ? Des rumeurs circulent. Les
athlètes de l'ex-URSS sont soupçonnés. Mais c'est un grimpeur américain et pas des
moindres qui est contrôlé positif...au cannabis.
La compétition de bloc a vu le jour bien plus tard. Plus
dynamique, rythmée, plus proche de la gymnastique, elle a rencontré un succès immédiat
auprès du public même si les blocs sont très éloignés de ce que Dame Nature propose.
Une génération a remplacé ceux qui ont contribué à faire reconnaître cette activité
spécifique.
Au vu de cet historique, il reste difficilement
compréhensible que l'escalade ait pu rater son examen de passage sur la scène
médiatique. Ce handicap pèse lourd dans le développement et la reconnaissance de ce
sport. Il a pour conséquence de priver les athlètes d'une manne financière qui leur
permettrait de vivre de leur sport. C'est loin d'être le cas aujourd'hui où les
meilleurs mondiaux gagnent souvent moins que des smicards. Les explications sont
complexes...et toutes simples. L'escalade est un sport jeune. Très jeune. 20 ans
seulement et la tâche accomplie par les dirigeants français qui ont tiré le mouvement
vers plus de crédibilité est énorme.
Le chemin à parcourir pour une vraie reconnaissance
internationale est long. Il faut encore développer l'escalade sur tous les continents,
puis convaincre les dirigeants du CIO d'accepter l'escalade dans le clan très fermé des
sports olympiques. Pourquoi pas ceux d'hiver ? Ce serait alors une manne financière
importante à laquelle aurait accès alors la fédération française et qui donnerait un
coup de fouet au développement de ce sport. Les structures d'escalade sont plus
nombreuses, les cadres compétents sont présents. Pour convaincre le CIO, il faudra
peut-être dynamiser le spectacle, ce à quoi les compétiteurs ont toujours été
opposés. Et qui sait, dans 20 ans, l'escalade sera alors la grande rivale de la descente
à ski pour l'audimat des Olympiades d'hiver. Mais d'ici là, le chemin est long. |